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La passion dans la pensée latine
14 avril 2008

DPMR.CM 2

Cours 2 : 19/02/08

 Face au monde, il existe deux types de relation : l’action face au monde, ἄγειν, et l’action que le monde exerce sur vous, πθειν. Il existe deux risques à l’ ἄγειν : bouleverser l’ordre du monde et se dissoudre dans le monde. Il existe deux aspects du πθος : il est indispensable à la vie, parce qu’il nous informe sur le monde. C’est l’empreinte du monde en soi (la douleur par exemple) qui forme un système d’information sur le monde rendant possible la vie. Deuxièmement, le πθος a tendance à être intrusif. Le monde a tendance à s’installer en nous ; l’être en tant qu’individu est en danger. Là où la sensation du chaud et du froid est indispensable à la vie, le πθος de la passion amoureuse peut être destructeur : c’est la représentation de l’autre qui finit par envahir tout notre être. Il existe un risque de la perte du moi.

 Toutes les philosophies hellénistiques ont décidé de réagir contre cette intrusion du monde mais pour cela il faut d’abord distinguer les deux πθοι : utile et inutile. Dans un système de relation au monde, on compte plusieurs stratégies possibles.

 

1) 1) Le pyrrhonisme de Pyrrhon.

C’est une doctrine radicale de l’apparence. Je vais penser le monde comme dépourvu de consistance véritable pour m’en protéger ; comme le monde est isothénique, l’être des choses se dissout dans la contradiction. Pyrrhon ne retient pas la différence entre le πθος signal de vie et le πθος maladie de l’âme, il veut parvenir à l’apathie, à l’insensibilité absolue, le refus de tenir compte du signal, car ce serait donner une essence au monde. Etre apathique revient à être totalement indifférent au monde. Le monde n’a rien à nous dire sur lui-même. C’est une forme radicale de nihilisme. Le problème de l’exposition à la mort est un rique assumé au nom de l’indifférence de la vie et de la mort. La mort est reçue avec la même indifférence que la vie. Celui qui a compris que rien n’existe devient paradoxalement une sorte de dieu, d’où les éloges dithyrambiques que fait Timon (disciple) à Pyrrhon ; la divinité de Pyrrhon vient de ce qu’il a réussi à détruire la notion d’être.

 

Extrait 3 :

 Sextus, Adu. Math., XI, 20 :

 ἧ γὰρ ἐγων ἐρέω, ὡς μοι καταφαίνεται εἶναι,

 μῦθον ἀλεθείης ὀρθὸν ἐχων κανόνα,

 ὡς  τοῦ θείου τε φύσις καὶ τἀγαθοῦ αἰεί,

 ἐξ ὧν ἰσότατος γίνεται ἀνδρὶ βίος

 Car je te dirai, à ce qu’il me semble,

 une parole ayant un juste critère de vérité,

 comment est la nature éternelle du divin et du bien

 à partir de laquelle la vie la plus sereine se produit pour l’homme.

 Discours en creux: la divinité de Pyrrhon n’est pas d’avoir compris ce qui est, mais ce qui n’est pas.

 

 Après Pyrrhon (fin 4ème-début 3ème), la pensée sceptique ne connait une renaissance qu’au 1er siècle avant avec la néo-pyrrhonisme d’Enésidème puis au 2ème siècle après avec Sextius Empiricus. (Retour en Occident fin 15ème avec le courant sceptique et Montaigne). Chez Sextius Empiricus, il y a une renonciation au nihilisme radical au profit d’une différenciation des deux πθοι. Le sceptique rejette toute perturbation de l’âme mais il acceptera les passions nécessaires à la vie. « Le sceptique est perturbé par ce qui s’impose à lui ». On peut donc avoir froid et accepté un πθος signal. Il existe pour Sextius Empiricus une παθ naturelle, qui consiste en avoir froid quand il fait froid. Il y a donc réhabilitation du πθος signal du monde mais le pathologique est mis du côté de la δόξα. Le problème vient de l’exégèse erronée des signaux que donne le monde : l’opinion vient perturber la relation naturelle de l’homme au monde.

 

2) 2) L’épicurisme

 Définir sa relation au monde : comment faire pour que le monde ne soit pas en moi une source de souffrance permanente. L’épicurisme admet l’existence du monde et la physique épicurienne va définir le monde comme une construction par le hasard à partir d’atomes et de vide. Celui qui verra le monde tel qu’il est, comme un produit du hasard, celui-là n’éprouvera aucune souffrance.

 Inversion absolue par rapport à Platon : la découverte du monde des formes suppose un long cheminement philosophique qui amène à s’éloigne des formes communes. Pour l’épicurisme, il faut réorienter le regard, l’empêcher de se perdre dans la recherche de la transcendance : il faut réapprendre à voir. Le monde ne comporte aucun mystère. Ce qui est cause de souffrance, c’est la part de mystère que nous surajoutons au monde. Le monde ne nous trompe pas. Toutes les sensations sont vraies, nous apportent une image véritable de ce qui est. C’est la doctrine des εἴδολα, des simulacra, qui sont des pellicules atomiques qui émanent de la surface des choses et sont des reproductions de celles-ci à l’identique. Des images en 3D de l’objet qui vont venir frapper nos sens.

 

Texte 1 : Lucrèce, De Rerum Natura, IV, 63-74

 « Mais, puisque cela se produit, une image ténue doit aussi émaner de la surface des choses. Car pourquoi ces formes s’échapperaient-elles et non pas de plus ténues, on ne saurait répondre. Surtout quand il existe à la surface des choses maints corps minuscules qui peuvent s’élancer sans modifier leur ordre ni leur figure d’ensemble, d’autant plus vite qu’ils trouvent moins d’obstacles, étant peu nombreux et placés au premier rang. Nous voyons maintes choses projeter de larges ondes, non seulement du fond d’elles-mêmes, comme je l’ai dit, mais de leur surface, la couleur par exemple. »

 Le processus de la sensation est un processus physique d’une extrême simplicité. L’objet envoie sa propre image. Le monde ne trompe pas. Si le monde se révèle à nous dans sa vérité et est douloureux, c’est parce que nous ne savons pas écouter le monde. Il y a confusion entre intériorité et extériorité.

 

Texte 2 : Epicure, Doctrines capitales, 24

 « (1) Si tu entreprends de rejeter absolument toute sensation, et de ne pas faire de distinction entre les opinions qui dépendent d’une évidence encore attendue et ce qui est déjà présent grâce la sensation, aux sentiments et à toute espèce de focalisation de la pensée sur une impression, tu confondras toutes tes autres sensations avec l’opinion vide, et par là tu rejetteras le critère dans son entier. (2) Et si tu entreprends de traiter comme choses fermement établies à la fois toute l’évidence qui est encore attendue dans tes conceptions conjecturales et ce qui n’a pas [reçu] d’attestation, tu n’éviteras pas l’erreur, de sorte que tu auras supprimé tout débat et toute discrimination entre ce qui est correct et ce qui ne l’est pas. »

 La sensation est vraie ; l’opinion est vraie ou fausse, et surtout non vérifiée. La démarche est donc de s’en tenir à la sensation et de focaliser la pensée sur la sensation ; ne jamais perdre le contact premier avec les choses (c’est le critère). Il faut s’orienter vers des actes convergents : focaliser la pensée, rechercher le plaisir et fuir la douleur.

 On compte deux parties au livre IV du DRN : la canonique (doctrine du critère, critériologie) et l’amour. Pourquoi cet assemblage étrange ? La première partie montre ce que doit être le critère de la vérité, la confiance dans la sensation. La deuxième est un contre-exemple, l’erreur peut-être la plus commune chez l’homme, l’erreur passionnelle. Il y a déconstruction de la passion amoureuse, emblématique de l’erreur.

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