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La passion dans la pensée latine
25 mai 2008

DPMR.CM 9

Cours 9 : 15/04/08

 

 Etude des De Ira/De Clementia, de Sénèque

 

 Pourquoi la colère a-t-elle occupé une si grande place dans la pensée des anciens ? Aujourd’hui, la colère est considérée comme un évènement épisodique, éruptif, une manifestation spectaculaire, qui n’a pas besoin de réflexion très approfondie.

 Chez les anciens, la colère est un des centres de la réflexion morale. La colère est synonyme de violence, et leur réflexion sur la colère est celle que nous pouvons avoir sur la violence. Pour eux, la colère est la violence inhérente à l’homme, le fait qu’il va prendre des attitudes qui le rapprochent de l’animalité.

 

 Quelques jalons de cette réflexion : Platon, d’abord, pour qui il existe deux mots pour désigner la colère οργη et θυμός. Platon préfère le second terme. La partie irascible de l’âme est pour lui ontologiquement étrangère à la raison. La colère est (cf Phèdre) l’un des deux chevaux que doit mener la raison, c’est la partie violente de l’âme. Toute âme humaine a une composante étrangère à la raison qui est cette colère/violence.

 Aristote apporte les définitions les plus précises de la colère, celles qui ont influencé le stoïcisme ; deux textes majeurs : Ethique à Nicomaque, I, 10, 1396a4 dans lequel la colère est une impulsion irréfléchie, déraisonnable, ἂλογοι ὀρέξεις des impulsions irrationnelles, sans le même arrière-plan métaphysique que chez Platon. Rhétorique, II, 2, 1378a30 et suivants, présente l’analyse la plus détaillée de la colère dans la perspective d’une action sur l’auditoire. Elle est présente dans l’étude de la nature des réactions qui peuvent être susceptibles d’être provoquées par l’orateur et qu’il doit donc connaître. Il prend pour point de départ une définition de la colère dont il prouve le bien-fondé. « Admettons que la colère est le désir impulsif et pénible de la vengeance notoire d’un dédain notoire en ce qui regarde notre personne ou celle des autres qui sont proches de nous, de dédain n’étant pas mérité. »

 L’analyse est donc la suivante : d’abord la colère relève du désir impulsif de vengeance, donc de l’ ὀρέξις. Ensuite, c’est un désir, mais μετ λύπες, il s’accompagne de souffrances, une personne en colère désire et souffre à la fois. Troisièmement, c’est τιμωρια φαινομηνη διὰ φαινομενεν ολιγωριαν, à cause d’un mépris public, plus précisément de ce que l’on croit être un mépris. Cette colère se situe donc dans l’extériorisation. Ολιγωριαν est un mot particulièrement important : c’est une sous-évaluation. La valeur ou la dignité n’a pas été respectée. Enfin, του ολιγωρειν μη προσηκοντος, alors que ce mépris n’était pas mérité. Il y a le sentiment d’une injustice. La colère est donc le désir d’un rétablissement de ce que l’on croit être l’ordre normal des choses, le désir d’un plaisir, car l’être en colère sent confusément que lorsqu’il aura obtenu vengeance, il en éprouvera une satisfaction, un plaisir.

 La colère est un phénomène complexe, individuel, dans lequel intervient confusément l’idée de justice. La proportionnalité n’a pas été respectée : excès pour lui-même qui par rétroaction aurait pour effet de rétablir la justice. Cette définition est établie dans un trait rhétorique et non philosophique et établit la réflexion stoïcienne sur la définition de la violence.

 

 La définition stoïcienne canonique est la suivante : ὀργὴ δὲ ἐστιν ἐπιθυμία τοῦ δοκοῦντος ἠδικηκέναι οὐ προσηκόντος. La colère est le sentiment de celui qui a été traité injustement alors qu’il ne le méritait pas. Le jugement se transforme en passion car c’est une évaluation erronée. L’homme en colère est incapable de prendre en compte l’ordre du monde. Il s’en tient à sa blessure sans chercher la rationalité du monde.

 Il existe une catégorisation stoïcienne des différents types de colère : θυμός, la colère qui démarre, la bouffée, le début. χόλος, l’agressivité, la montée de la colère. πικρία, la poussée subite, imprévisible, de la colère. Enfin μῆνις la colère invétérée, qui devient un ἐθος, une habitude. Cette catégorisation est reprise par Cicéron, dans les Tusculanes, 4, 27 pour exprimer la différence en ira et iracundia. Ira désigne l’explosion de colère et iracundia la colère devenue une habitude, un tempérament violent. Pour les stoïciens, il existe une thérapeutique possible de l’ira, mais celle-ci est beaucoup plus difficile pour l’iracundia.

 

Sénèque, né à Cordoue, est le fils de Sénèque le rhéteur (qui n’était pas rhéteur mais amateur de rhétorique). Il se tourne vers l’étude philosophique après une carrière traditionnelle en rhétorique et travaille sous la direction d’un maître pythagoricien du nom de Sotion. Il connaît un grand enthousiasme et est inspiré par certaines pratiques, comme l’examen de conscience qu’il va pratiquer toute sa vie. Il suit de plus un régime végétarien très strict qui lui ruine la santé. En 25, il part pour l’Egypte, dont son oncle est le préfet, région réputée pour le caractère salubre de son climat. Il a déjà découvert le stoïcisme via un deuxième maître, Attale.

 Jeune intellectuel passionné de philosophie, engagé existentiellement dans la philosophie, si bien que l’on est un surpris du tour que prendra la vie de Sénèque. Il découvre l’Egypte, se passionne pour sa culture. Contact avec le monothéisme ? via la communauté juive d’Alexandrie, ou les premiers chrétiens ? L’idée a frappé, d’où la correspondance apocryphe Sénèque St Paul. En 31, il retourne à Rome et mène une existence de Romain politique, pour se préparer au cursus honorum, d’abord sous Tibère puis Caligula, qui le trouve déplaisant et veut le faire tuer. Il est alors sauvé par l’intervention d’une maîtresse.

 En 41, sous Claude, il est condamné à mort puis à l’exil en Corse pour avoir commis l’adultère avec une fille de Germanicus et pour avoir mené une vie dissolue. Rédaction du De Ira. Retour en 49 ; après la mort de Claude (53), montée en puissance grâce à Néron, ex-disciple. Consul 55-56 ; activité d’écriture intense. En 62, il offre à Néron de se retirer. Refus. 62-63 : début d’écriture des Lettres à Lucilius. 65 : mort de Sénèque.

 

 De Ira. Il est constitué de 3 livres. Plusieurs hypothèses de datation. Fin 41, date la plus généralement nommée. Œuvre située dans un double contexte. Politique, Sénèque a eu à souffrir de la colère de Caligula, d’où une interrogation sur ce qui fait qu’un empereur se conduise avec une pareille bestialité. Œuvre non abstraite, en situation, manière d’interroger le monde dans il vie (on retrouve le mot quaero 546 fois dans l’œuvre de Sénèque). Sénèque est un stoïcien, un homme de certitude, dogmatique, mais qui met le dogme en question : la réflexion sur l’adéquation du dogme au réel est la base de cette démarche de quarere, se demander quelque chose ? Le deuxième aspect est philosophique. La philosophie est sur le monde d’un pari. Certes, il existe des hommes qui se conduisent comme des bêtes, mais il faut avoir confiance en la raison. Pas de négation de la nature raisonnable de l’homme : profession de fois rationaliste.

 Question des sources très problématique : sur quel texte avait-il travaillé ? Selon Fillon-Lahille, dans le De Ira de Sénèque et la philosophie stoïcienne des passion, il a eu recours à deux sources, Chrysippe (Ancien Portique) et Pausidonius (Moyen Portique). Ces conclusions sont très contestées.

 Le livre 1 est celui de la définition de la colère à partir d’Aristote et du stoïcisme ; idée très forte que la colère est une particularité de l’être humain. L’animal ne peut se mettre en colère ; colère est une maladie de la raison, or, pour être malade, il faut qu’elle existe. L’animal étant sans raison, il ne connaît ni passion ni colère. Il y a une tentation d’anthropomorphisation des animaux, qui ont des traits communs, c’est vrai, car l’homme en colère ressemble à l’animal en colère, mais chez l’être humain tout passe par le langage, même la colère, même la folie. Un être humain ne peut pas ne pas penser. Dans l’animal, il n’y a pas de pulsions maladives du jugement.

 Le livre est profondément stoïcien : il affirme que la méchanceté des hommes prouve leur égarement mais non l’absence de raison. La guérison/thérapie est possible car la raison est un langage commun entre tous les hommes.

 Le livre 2 est celui du rôle joué par la raison et par la pulsion dans le mécanisme de la colère. Des pulsions existent, infiltrées par la raison, le langage, même pervertis.

 Le livre 3 est celui de la thérapie : discours toujours stoïcien désormais accompagné d’une partie thérapeutique. Comment sauver ceux qui peuvent encore être guéris : tous ceux chez qui la passion n’est pas devenue un système sclérosé, totalement bloqué. Cette thérapeutique comporte trois aspects : prophylactique, préventif, comme éviter soi-même la colère (violence). Curatif, comment cesser de s’irriter quand la colère est déjà en nous, comment l’arrêter. Enfin, comment porter remède à la colère d’autrui. Caractéristique de l’idée impériale qu’un être humain se construit tout au long de sa vie. Lutte contre le processus : rationalisation de la conduite. Le De Ira prend acte de la maladie et conclut que le remède existe le plus souvent.

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