DPMR.CM 10
Cours 10 : 13/05/08
Sénèque perçoit la colère comme la violence, l’expression de la violence. Pourquoi Sénèque écrit-il le De Ira en 41 ? Réflexion philosophique, certes, mais en situation, c’est l’année de l’exil en Corse, le moment où il réfléchit beaucoup sur la nature du pouvoir impérial. Le De Ira est en fait un élément d’un diptyque, le De Ira décrit le règne des mauvais empereurs, alors que le De Clementia est le règne des bons empereurs, le début du règne de Néron, versant positif mais qui a posteriori est annihilé par l’attitude de Néron.
Philosophie d’un homme qui est un philosophe stoïcien. 2 courants : stoïcien/éclectique. Fondamentalement, il est stoïcien, mais en recherche. Pour Sénèque, il ne s’agit pas d’avaler un corpus de doctrine, il faut refaire le trajet philosophique des fondateurs du stoïcisme. Idée que sa réflexion ne doit pas être répétition mais recréation.
La colère est la passion, mais non l’une des quatre fondamentales (chagrin, peur, désir, plaisir). La colère relève du cupido, du désir. La colère a une particularité, c’est la passion la plus tournée vers l’extériorité. I,1,7 alii affectus apparent hic eminent, « les autres passions sont visible, celle-là jaillit. ». La colère est une sorte de projection incontrôlée de l’individu hors de lui-même, la plus spectaculaire des passions. Ira est cupiditas ulciscendare iniurias, « la colère, c’est le désir de venger une vengeance. » Aristote, De Anima, 430a30. Définition aristotélicienne que Sénèque va prendre comme point de départ pour son œuvre, dans le livre 1. Idée de la vengeance que Sénèque réfute au nom de l’idée que ce qui doit gouverner les rapports humains, ce n’est pas la vengeance mais l’idée d’une concordia, une bienveillance des uns par rapport aux autres.
I,5,3 : beneficiis enim humana vita constat et concordia nec terore sed mutuo amore. « en effet, c’est par des bienfaits et par la concorde que la vie humaine gagne à sa stabilité et non par la terreur mais par une affection mutuelle. » Les êtres humains doivent toujours avoir en tête qu’ils sont frères et sœurs dans l’ordre de la raison. Ce qui est naturel, normal, ce n’est pas de punir autrui mais d’être bienveillant à son égard (ce qui répond d’ailleurs à une grande reproche faite au stoïcisme, d’être une philosophie d’asociaux). Pour Sénèque, il ne faut pas de punition par vengeance, l’esprit doit être différent : pater caedatur : defendam ;caesus est, exsequar quia opportet non quia dolet. « Mon père sera frappé : je le défendra ; il a été frappé : je réclamerai justice, parce que cela est nécessaire, non parce que je souffre. » Punition non exclue, mais qui se fait au nom de la justice et non au nom de la souffrance, de la passion.
Pour Aristote, philosophe des passions moyennes, la colère est une énergie qui demande à être contrôlée, canalisée, utilisée ; excès qu’il faut ramener à une moyenne, une médieté. Si on sait contrôler son énergie, arriver un comportement raisonnable, on sera vertueux. Différence fondamentale : pour les stoïciens, l’idée d’un contrôle de la passion est totalement absurde. Energie qui emporte tout. Il faut prendre la passion à la racine, donc ne pas la laisser s’amplifier et s’emparer de nous. 2 métaphores : le plan incliné, chute que rien ne peut entraver, l’ennemi aux frontières.
I,8,2 in primis, inquam, finibus hostis arcandus est naus cum intravit et portis se intulit modum a captivis non accipit. « En premier lieu, dis-je, l’ennemi doit être éloigné des frontières ; en effet, quand il a fait invasion et qu’il s’est dirigé jusqu’aux portes de la ville, il n’accepte pas de se laisser modérer par ses captifs. » L’imaginaire de Sénèque assimile deux mondes : celui de la raison, assiégée par les forces de l’irrationnel, et celui du monde romain, cosmopolis de la rationalité. Aristote a tort de penser que la raison puisse se servir des passions, c’est la leçon du livre 1.
Dans le second livre se trouve décrit le mécanisme de la colère, celui de toute passion. Tout commence par un paradoxe : la passion n’existe que chez l’être humain ; les animaux ne peuvent connaître la passion. La passion est donc le prix de la rationalité.
Il existe une distinction stoïcienne entre προπάθεια et πάθος. Le premier est une réaction réflexe qui est commune à l’homme et à l’animal. Ce n’est pas de la raison, c’est en deçà de la raison. Le πάθος est une maladie de la raison. Le processus de la colère va se décomposer en deux temps : deux assentiments coordonnés, 1) j’ai été victime d’une offense, d’une injustice, 2) il est moralement beau de venger une injustice. Si on répond oui/oui, l’ὀρμη, l’impulsus fait que l’on va littéralement se précipiter sur l’autre.
Le livre 2 désamorce cette bombe propositionnelle en montrant le caractère erroné de ces assentiments. Ce que je considère comme une offense n’est qu’un indifférent. L’idée du Talion, de la réplique à l’identique, est erroné. II,32,1 non enim ut beneficiis honestum est merita meritis repensare, ita iniuria, iniuris. « Si en effet dans les bienfaits il est moralement beau de payer les mérites par des mérites, il n’en est pas de même pour les offenses. » Il y a une dissymétrie, il faut comprendre le processus, relativiser les offenses. Désamorçage intellectuel. Thérapeutique intellectuelle qui doit s’accompagner d’une thérapeutique pratique. Notion, concept qui doivent être intériorisés par la pratique. Comment faire pour ne pas se mettre en colère ? Pour s’en délivrer ? Retenir quelqu’un qui est en colère ?
Le livre 3 est l’occasion d’examiner des pratiques parfois quotidiennes, de l’ordre des « exercices spirituels » (expression de P. Hadot), pour se délivrer de la passion par lesquels se manifestent la construction du sujet, le souci de soi, la construction d’une personnalité rationnelle, l’examen de conscience, qui a eu une grande postérité.
III, 36,2 « Est-il
rien de plus beau que cette coutume de scruter toute une journée ? Quel sommeil
suit cet examen de soi-même, qu’il est profond, tranquille… » Réflexivité
par rapport à soi-même et éthique en situation, jamais à l’écart d’une
situation concrète. Sénèque a construit un système intellectuel et
thérapeutique de la colère.